REVUE DE PRESSE // Editions du CRASC Oran. Faire du théâtre en temps de guerre de Miliani Hadj : Un maître-livre

Deux mois après sa disparition, Miliani Hadj nous revient avec la parution à titre posthume de son dernier ouvrage, un «maître-livre» selon Ahmed Cheniki qui en a signé la préface. A l’évidence, le superlatif s’impose tant Faire du théâtre en temps de guerre, Algérie 1950-1962 est une œuvre majeure en matière d’historiographie du théâtre algérien.

Pour rappel, Miliani Hadj était professeur de littérature et directeur de recherche associé au CRASC d’Oran. Il a à son actif plusieurs publications de référence parues en Algérie et à l’étranger et touchant à divers domaines de l’art et de la culture en Algérie (le chant et la musique populaire, le cinéma, le théâtre, la littérature, l’histoire et l’anthropologie culturelle).

Par ailleurs, il n’était pas seulement un observateur, mais aussi un acteur dans le champ culturel. Pour ce qui est du théâtre, il a été dans les années 1970 membre d’une des troupes amateurs les plus en vue à Oran, puis salarié du théâtre d’Oran en tant que chargé de la communication, a activé dans la constitution d’un théâtre universitaire sous la houlette de Mustapha Kateb et a contribué dans la presse à la critique théâtrale avant de rejoindre l’université où, entre autres, il assurait un module de théâtre selon le principe de la pédagogie active, une manière qui a fait des émules en d’autres universités. Ceci étant, dans Faire du théâtre en temps de guerre, Algérie 1950-1962, Miliani est égal à lui-même. Il y est magistral et novateur en abordant une question quelque peu négligée s’agissant de la contribution fondamentale des Européens dans l’évolution qualitative du théâtre algérien.

L’universitaire revisite la période allant des années 1940 à l’indépendance où une fructueuse jonction s’opère, et particulièrement dans les années 1950, entre le théâtre des Européens et celui des autochtones, cela à travers des projets artistiques des uns et des autres, des cadres de formation, «des expériences de confluences artistiques, de proximités intellectuelles, d’échanges critiques et d’utopies généreuses que la rupture armée avec le système colonial va, peu à peu, en grande partie désincarner et délégitimer».

L’ouvrage fourmille d’informations, livrant de nouveaux matériaux et des données concernant un aspect peu connu de la vie théâtrale en Algérie : «C’est tout un monde de l’art qui a eu à exister dans un contexte peu propice, celui de la guerre d’indépendance, alors que la fracture historique et politique est en train de faire basculer le pays vers de nouveaux enjeux, ceux la construction d’une nouvelle nation.» Notons qu’après l’indépendance, il se chuchotait à propos de nombre des valeurs sûres du théâtre algérien d’avoir fraternisé avec l’ennemi.

Les bûchers qui se tramaient contre eux n’ont pu prendre que grâce au refus des artistes qui ont rejoint le FLN/ALN de s’y impliquer. Les artistes ciblés sont ceux qui ont été formés par les Européens, une élite d’auteurs, metteurs en scène et de comédiens qui a eu à structurer et à encadrer le théâtre algérien à l’indépendance. C’est donc dire la pertinence de l’entreprise engagée par le regretté Miliani qui, en outre, a crevé un abcès. Gageons, bien que nous soyons à 60 années de l’indépendance, que le chapitre 7 de l’ouvrage consacré à Hermantier, Alloula et Kaki, sera lu et relu et ses mots soupesés. Ecrit dans un style académique, mais sans rien d’abscons, Faire du théâtre en temps de guerre, est même d’une lecture plaisante.

Miliani plante le décor dès l’abord en rappelant la naissance de deux pratiques théâtrales locales à la même période, soit 90 ans après l’invasion, chacune en direction des deux communautés, coloniale et colonisée. A titre illustratif, il cite les animateurs, les troupes du théâtre «arabe» et leur répertoire caractérisant leur ancrage par le biais des référents historiques et légendaires mais également dans une volonté d’acclimater les classiques occidentaux. Côté européen, il cite entre autres, l’équipe théâtrale d’Henry Cordreaux dont l’activité marque la période 1952-1962.

Formateur exceptionnel et figure éminente de la tradition du théâtre populaire, le théâtre algérien lui est redevable en particulier sur cette tradition considérée «par les Algériens musulmans comme vecteur de conscientisation et de renouveau culturel, et pour les Européens, comme instruments d’intégration et de promotion culturelle en direction des population musulmanes ». L’autre parallèle établi entre les deux théâtres en direction des deux communautés, le théâtre «arabe» est qualifié d’inspiration et d’instinct plus que de théâtre de composition et de recherche, un théâtre dont la force est dans l’improvisation.

C’est ce qui fera que la représentation d’une même pièce ne ressemble pas à la précédente, les comédiens s’investissant moins au service du texte et de son écriture scénique qu’au profit du divertissement des spectateurs, gardant l’œil et l’oreille sur leurs réactions. Ce n’est qu’en 1960 que le ministère de la Culture s’avise d’une action de «rattrapage politique de l’action culturelle en Algérie en direction de la population musulmane devenue le sujet principal des mesures à adopter». Il ne sera presque rien des préconisations projetées, la situation sécuritaire excluant toute action. Faire du théâtre en temps de guerre, Algérie 1950-1962 est absolument à lire. Merci professeur Miliani.

Faire du théâtre en temps de guerre, Algérie 1950-1962
Editions du CRASC Oran,

El Watan

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